Sur votre messagerie, sur votre réseau social préféré, ou peut-être sur l’application professionnelle que vous utilisez au quotidien, l’IA est mise en avant partout et de manière parfaitement orchestrée pour que vous ne puissiez y échapper facilement. Lumière sur les mécanismes employés pour nous pousser de gré ou de force dans l’usage de l’IA générative.
Vous avez probablement dû les voir apparaître un peu partout sur vos applications et navigateurs web, de manière plus ou moins subtile. Gemini chez l’un, My AI chez l’autre, les invitations à utiliser l’intelligence artificielle sur nos applications sont légion.
Pour ma part, c’est sur mon application Whatsapp que je l’ai remarqué récemment : le texte de la barre de recherche propose de demander en premier lieu à Meta AI, et un bouton rond de couleur bleu violet a été ajouté juste au-dessus de celui pour démarrer une nouvelle conversation, comme le montre la capture d’écran ci-dessous.
Le groupe de travail Limites Numériques a justement publié une enquête sur la thématique en février 2025, intitulée “Comment les entreprises de la tech nous forcent à utiliser l'IA”, en introduisant l’enquête ainsi :
“Poussées par des investissements massifs qu'il faut rentabiliser, par la promesse de nouvelles sources de profits ou par la peur de se voir dépassées, de nombreuses entreprises du numérique ont commencé à mettre en œuvre des fonctionnalités alimentées par l'IA. L'ajout de nouvelles fonctionnalités dans des applications ou des logiciels n'est bien sûr pas nouvelle en soi, mais ce qui frappe avec l'IA, c'est la manière dont les entreprises poussent à l'adoption de ces fonctionnalités, en particulier par le biais du design.”
A partir d’une collecte d’une centaine de captures d’écran issues de différents types de logiciels (professionnels, loisirs, communication, créativité), Limites Numériques a analysé les mécanismes employés par les entreprises du numérique pour nous forcer à utiliser l’Intelligence Artificielle. Voici un résumé de ces pratiques.
L'IA a le premier rôle dans nos interfaces
Comme dans l’exemple de Whatsapp cité en introduction de cet article, l’IA occupe souvent le premier plan des interfaces, des barres d’outils et des menus.
Ce premier plan est aussi assuré par des choix visuels permettant une mise en avant de la fonctionnalité IA, avec par exemple une animation de l’icône sur Notion, ou un bouton coloré au milieu d’un menu noir et blanc pour Miro.
La répétition des suggestions de la fonctionnalité est aussi de mise, avec par exemple Acrobat Reader qui présente six manières d’accéder à son Assistant IA sur son interface.
Lorsque ces différentes suggestions ne suffisent pas, les entreprises n’hésitent pas non plus à interrompre l’expérience utilisateur, avec par exemple l’apparition de fenêtres contextuelles (les fameuses pop-up qu’on adore !) vantant la puissance de l’IA générative comme sur Adobe Photoshop.
Bien sûr, l’utilisation de ces fonctionnalités est facilitée au maximum, si bien que l’utilisateur peut les déclencher par accident, comme dans Notion ou la fonctionnalité s’active en appuyant sur la barre espace alors que les autres fonctionnalités nécessitent d’appuyer sur “/”.
Dans certains logiciels, l’IA est même activée par défaut, comme sur le moteur de recherche Qwant, ou sur l’application de suivi sportif Strava. Si l'option de désactivation existe, son existence n'est pas mentionnée aux utilisateurs et le paramètre dédié est caché parmi d'autres.
L'IA est présentée comme magique
Plusieurs éléments participent à une représentation magique de l’IA :
- Le choix des icônes, souvent une étincelle, qui fait référence à l’innovation et à l’émerveillement, là où les autres icônes illustrent bien souvent ce qu’elles font (un rouage, un trombone, une corbeille,etc).
- Le choix des couleurs, avec une prédominance de mauve et de bleu. Voici l’apport de Marion Lamarque, spécialiste des couleurs à ce sujet : “Dans les arts visuels, le violet symbolise la magie, mais est aussi associé à l'innovation. Le mauve version éclaircie du violet, y ajoute la sensation de douceur et rend donc la magie des IA plus rassurante, surtout lorsqu'il est associé en dégradé à un bleu azur, apaisant et consensuel.”
- Le choix des mots, avec un usage intensif de superlatifs, pour positionner l’IA comme un outil à tout faire, sans jamais dire ce qu’elle ne fait pas. Le bouton IA de Zoom, par exemple, à un usage complètement différent de celui de Google, et pourtant ils sont visuellement identiques. Cette présentation comme un couteau suisse vient à imposer l’idée que le recours à l’IA est toujours une bonne chose, en éludant systématiquement les nombreux impacts de l’IA, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou sociétaux.
L’IA est un assistant (pas une simple fonctionnalité)
Quand elle n’est pas magique, l’IA emprunte souvent des caractéristiques humaines (avec des prénoms ou des visages) et mobilise la métaphore de l’assistant. On peut y voir une manière de la présenter comme désirable et performante, un assistant dévoué qui est là pour aider l’humain sans jamais chercher à le remplacer.
Bien sûr, l’existence de méthodes de manipulation de nos comportements et de notre attention est antérieure à l’arrivée massive de l’IA Générative, nous avions d’ailleurs déjà parlé du design de l’attention et des dark patterns dans une interview de Flora Brochier des Designers éthiques en janvier 2024.
Cependant l’ensemble des éléments mobilisés ici rend plus difficile encore la perception d’un usage forcé de l’IA et donc l’émergence d’un débat collectif à ce sujet.