IA et décarbonation sont-elles compatibles ? Réponse du Shift Project.

La croissance actuelle des centres de données à travers le monde dans la course à l’IA est-elle compatible avec une trajectoire vers un monde décarboné ? Le Shift Project nous donne des éléments de réponse dans sa dernière étude

Le Shift Project a publié en octobre 2025 le rapport final de son étude “Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné ?”.
L’étude met en perspective la croissance de la filière centre de données engendrée par le phénomène IA Générative. L’objectif de l’étude est de mettre en évidence l’incompatibilité actuelle du déploiement généralisé de l’IA avec les contraintes énergie-carbone et de proposer des pistes à suivre pour réorienter nos choix technologiques, qui sont de véritables choix politiques, économiques et stratégiques

Trajectoires de la filière centre de données à l’échelle mondiale

A l’échelle mondiale, la consommation électrique des centres de données en phase d’usage est passée de 165 TWh en 2014 à 420 TWh en 2024 (sans compter la consommation des crypto-monnaies), avec une croissance de 13% par an depuis 2019. 
A l’horizon 2030, avec la dynamique actuelle, la consommation totale pourrait atteindre 1500 TWh par an, soit une multiplication par 3 en 6 ans. Les principales causes de cette hausse étant les suivantes : 

  • Augmentation généralisée du recours à l’IA générative
  • Augmentation généralisée du recours aux services d’IA traditionnelles
  • Augmentation de la consommation des crypto-monnaies 

En 2025, l’IA représente 15% de cette consommation, et représenterait au moins 35% en 2030. 
Cette croissance insoutenable s’explique par la combinaison de l’effet d’usage (les usages appellent de nouvelles capacités) et de l’effet d’offre (les nouvelles capacités permettent de nouveaux usages) : 

La problématique est que dans de nombreux pays, et notamment aux États-Unis, ces nouveaux besoins énergétiques sont comblés grâce aux énergies fossiles. 

Cela amène la filière centre de données dans une situation à l’opposé de la tendance nécessaire à l’atteinte de l’objectif de zéro émission nette en 2050 : pour l’atteindre, la filière devrait diminuer ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5% par an. Or, la dynamique actuelle entraînerait une hausse des émissions de 9% par an malgré la décarbonation du mix électrique.

Le problème est que le secteur numérique considère la rareté énergétique comme une contrainte à contourner plutôt que comme une incitation à la modération de l’offre. C’est ainsi que Google et Microsoft ont récemment annoncé relancer des centrales nucléaires fermées depuis plusieurs années pour alimenter leurs centres de données aux États-Unis.
 

Trajectoires de la filière centre de données à l’échelle européenne et française

A l’échelle européenne, la tendance est assez semblable à la tendance mondiale : une consommation électrique qui pourrait être multipliée par 2 entre 2023 et 2030, et par 4 entre 2023 et 2035. Dans un pays comme l’Irlande, qui concentre énormément de centres de données des géants du numérique, les centres de données consomment déjà plus de 20% de l’électricité disponible.

A l’échelle française, la part des centres de données dans la consommation électrique nationale pourrait passer de 2% en 2025 à 7,5% en 2035 si les différents investissements annoncés au Sommet de l’IA se réalisent. Cela entraînerait une concurrence d'usage avec les secteurs dont la décarbonation complète ne peut passer que par leur électrification. Afin d’éviter ce phénomène, il est nécessaire de prévoir une trajectoire pour la filière dans la Stratégie Nationale Bas Carbone 3.

Quelles pistes pour assurer une viabilité énergie-carbone de la filière ?

L’étude propose plusieurs leviers à activer pour assurer la viabilité énergie-carbone de la filière centre de données : techniques, mais aussi sociétales et politiques : 

  • Mesure et transparence : Assurer un suivi public de la filière centres de données et la transparence des services d’IA.
  • Optimisation : Concevoir des IA et modèles frugaux et réduire les impacts de fabrication (cartes graphiques, processeurs, etc.).
  • Réorganisation collective vers la sobriété : Définir et faire respecter une trajectoire-plafond de consommation électrique des centres de données.
  • Information, formation & compétences : Ne pas réorienter les ressources de formation et le débat public vers l’IA plutôt que vers la transition.