L’essor des IA génératives est-il synonyme de disparition du métier de formateur ? Quelles formes peuvent prendre la formation et l’évaluation pour rester pertinentes et assurer le développement des compétences à l’avenir ?
A l’heure où le réflexe du recours à l’IA devient de plus en plus prégnant, notamment chez les jeunes, comme le montre le graphique ci-dessous issu du baromètre 2024, “les français et les IA génératives”, réalisé par Ifop pour Talan, quelle forme pourront prendre la formation et le développement des compétences demain ?
Qu’il s’agisse de formation initiale ou de formation continue tout au long de la vie, les IA génératives viennent bousculer les modalités d’apprentissage et d’évaluation.
Un outil qui vient bouleverser la formation
86% des étudiants dans le monde déclarent utiliser l’IA dans leurs études selon une enquête 2024 du Digital Education Council auprès de 3800 étudiants de l’enseignement supérieur dans 18 pays. 54% d’entre eux y ont recours chaque semaine. On comprend dès lors que bon nombre de productions écrites demandées jusqu’ici aux étudiants perdent de leur pertinence. On pourrait alors se demander s’il y a encore un intérêt à faire produire des travaux aux étudiants. Cela reviendrait à oublier que le processus d’apprentissage s’appuie sur le langage, à l’oral ou à l’écrit. Devoir s’exprimer oblige l’apprenant à structurer ses idées et à affiner sa compréhension du sujet.
Il faut néanmoins reconsidérer les modalités de formation et d’évaluation afin de pouvoir continuer à favoriser des productions authentiques des apprenants : on peut ainsi encourager des exercices et travaux où l’IA n’est pas pertinente : contextualiser, restituer en groupe des échanges et débats ayant eu lieu pendant la formation, amener les apprenants à s’engager et à faire preuve d’esprit critique ou de remise en question.
On peut également accepter la présence de l’IA et déplacer les attentes vis-à-vis des apprenants : dans les cours d’informatique où on demandait préalablement de coder une application, on peut désormais orienter la restitution autour de la compréhension de l’application réalisée : l’apprenant peut-il rapidement amener une modification ? Peut-il corriger une erreur qu’on aura volontairement ajoutée ? Ainsi le travail n’empêche pas le recours à l’IA pour la génération du code, mais nécessite que l’apprenant maîtrise ce qui aura été généré par l’IA.
Une réponse systématique non bénéfique au processus d’apprentissage
L’IA générative est programmée pour nous apporter une réponse de manière systématique, dans laquelle nous nous retrouvons dans une position assez passive de réception d’information. Mais l’apprentissage ne se résume pas à la lecture d’une information. Stanislas Dehaene (psychologue cognitif et neuroscientifique, directeur d’une chaire au Collège de France) met en exergue quatre facteurs clés qui influencent la facilité d'apprentissage : l'attention, l'engagement actif, le retour d'information immédiat, et la consolidation.
Le réflexe ChatGPT peut donc donner l’illusion aux utilisateurs qu’ils montent en compétence, mais ces outils peuvent également les induire en erreur, si le recours à l’IA se fait aux dépens des échanges avec les sachants de leur entourage (collègues, professeurs, formateurs, etc)
Comme le souligne Willie Charbonnier, enseignant en mathématiques au collège, l’extrême accessibilité de ces outils comporte également un risque majeur : “le renforcement du mythe de la réponse instantanée qui prive d’une démarche intellectuelle et favorise la paresse”.
Fatigue numérique et besoin de socialisation
Il y a une réelle fatigue des apprenants vis-à-vis des moocs et autres formations en ligne, notamment dans les grandes organisations qui ont beaucoup misé sur la formation self-service en s’appuyant sur des systèmes de gestion de l’apprentissage (LMS pour Learning Management System en anglais).
Comme le partageait récemment Agathe Dauvergne, associée au sein de l’agence de formation Big Factory, au magazine Chut!, le taux de décrochage sur les modules de formation en ligne est proche de 70%. Les salariés qui se forment préfèrent toujours être face à des humains experts qui interagissent avec eux, à qui ils peuvent poser des questions hors des cadres normés.
Dès lors, on imagine mal les formateurs disparaître. Néanmoins ils ne peuvent ignorer l’IA. Il faut nécessairement intégrer les bouleversements que l’IA induit dans la manière d’apprendre et de former. Mais il faut aussi être vigilant à ne pas se laisser happer par la déferlante, et garder à l’esprit l’ensemble des impacts environnementaux et sociaux causés par l’IA. Il y a un an, nous partagions l’éclairage de Thomas Solignac sur la possible frugalité de l’IA. Et nous vous présentions également un atelier, La Bataille de l’IA, qui permet de mieux comprendre les grands enjeux autour de l’IA générative : ses impacts sur la société, ses impacts sur la création artistique, ses impacts sur l’environnement, la fiabilité des informations et les biais de conception. Autant de sujets qui peuvent éclairer apprenants et formateurs dans leur recours à l’IA.